Entretien avec Mourad Jouini, porte-parole de l’ONSR (Observatoire national de la sécurité routière)

La dernière mise à jour du Code de la route remonte à plus de 20 ans. Une nouvelle version plus adaptée aux exigences actuelles de la circulation s’impose donc aujourd’hui. Un nouveau projet-loi a d’ores et déjà été élaboré au niveau de l’Observatoire national de la sécurité routière (ONSR) et approuvé par le gouvernement, en attendant son adoption par l’Assemblée des représentants du peuple. Mourad Jouini, porte-parole de l’ONSR, précise, dans l’interview qu’il nous a accordée, les modifications apportées au Code de la route et explique les objectifs de l’Etat en matière de sécurité routière pour les prochaines années.

Pourquoi avez-vous choisi ce timing pour une mise à jour du Code de la route ?

Je rappelle que la dernière mise à jour du Code de la route remonte à l’année 2000, soit il y a 24 ans déjà. Dans cet intervalle de temps, la technologie automobile a énormément évolué tout autant que l’infrastructure. En réalité, nous sommes en retard et la modification du Code de la route aurait dû être effectuée plus tôt pour qu’elle soit en phase et en accord avec cette évolution rapide du monde de l’automobile.

Lors d’une enquête sur l’autoroute, une personne sur trois conduisait sous l’effet de l’alcool

Sur un autre plan, nous avons constaté que le sentiment d’impunité chez l’automobiliste est de plus en plus évident si nous nous référons, par exemple, au nombre de conducteurs qui grillent les feux de circulation ou à ceux qui ne portent pas la ceinture de sécurité. Pour ces raisons, il était pour nous nécessaire de modifier le Code de la route pour qu’il puisse répondre aux exigences actuelles de la circulation et aide à mieux protéger les usagers de la route.

Avant de présenter le projet-loi à la présidence du gouvernement, nous avons effectué un travail colossal au niveau de l’Observatoire national de la sécurité routière (ONSR). Le projet a donc pris du temps pour pouvoir consulter les différentes directions générales et l’administration concernant le volet juridique. Nous voulions que l’élaboration du projet-loi se fasse avec les meilleures dispositions en impliquant tous les intervenants tels que les ministères de l’Intérieur, du Transport et des Finances ainsi que les composantes de la société civile concernées.

Réellement, les changements qui seront introduits au Code de la route émanent des recommandations du Conseil national de la sécurité routière préconisées suite à la tenue de sa 14e session. Nous les avons adoptées lors de la 15e session organisée en 2023. Je précise également que le ministère du Transport, auquel le législateur attribue la prérogative d’élaborer les lois du Code de la route, a adopté ce projet-loi et l’a présenté au gouvernement. Nous attendons maintenant l’adoption du nouveau texte par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) avant sa mise en application.

Quelles sont les grandes lignes de ce projet-loi du Code de la route ?

Les grands changements concernent notamment le décret-loi 146 relatif à la conduite en état d’ébriété. Nous sommes partis d’une enquête que nous avons menée à la station de péage de Mornag en septembre 2022. Le contrôle effectué sur des dizaines de conducteurs a révélé qu’une personne sur trois conduisait sous l’effet de l’alcool.

Or, pour transférer le dossier à la justice, nous nous sommes retrouvés face à un épineux problème. Afin de prouver que le conducteur conduisait en état d’ivresse, et vu que la loi stipule que les tests d’alcoolémie effectués par les forces de l’ordre ne constituent pas une preuve pour une condamnation, il était nécessaire de refaire les tests dans les hôpitaux publics. Toutefois, le temps nécessaire à la recherche d’un hôpital à proximité, particulièrement dans les régions intérieures pour faire les analyses, le taux de concentration d’alcool dans le sang du conducteur en question diminue et il devient ainsi difficile de prouver l’état d’ébriété.

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Dans le but de simplifier ce processus long et compliqué, nous sommes convenus de supprimer les analyses à l’hôpital en considérant désormais le test d’alcoolémie effectué par les forces de l’ordre comme étant une preuve pour la condamnation. Pour avoir des résultats exacts, nous allons utiliser désormais des appareils certifiés par les ministères du Commerce et de la Santé.

Bientôt un système pour capter en continu les infractions routières à travers un réseau de caméras et de radars

Il s’agira, par ailleurs, de l’automatisation des contraventions et des infractions routières. C’est-à-dire, qu’il y aura un système de contrôle à distance qui capte en continu les infractions routières à travers un réseau de caméras et de radars qui seront installés dans tous les ronds-points sur les routes. Ce dispositif permettra de relever les infractions comme le défaut de port de la ceinture de sécurité ou l’utilisation du téléphone pendant la conduite. Nous voulons réellement que le conducteur soit sensibilisé et conscient des dangers de la route. Avec ce système, il va modifier progressivement son comportement en évitant de commettre des infractions sur les axes où sont installés les caméras et les radars. Toutefois, cela ne suffira pas. Il faudra le renforcer par le biais de campagnes de sensibilisation et de prise de conscience des conducteurs.

Pour une application plus efficace de la loi, l’entretien des panneaux de signalisation n’est-il pas nécessaire ?

Il y a justement un programme pour l’entretien de tous les panneaux de signalisation. Nous travaillons, dans le cadre de ce programme, en collaboration avec les municipalités et les directions régionales de l’Équipement, à qui incombent la tâche d’entretenir les panneaux de signalisation, respectivement, dans les zones urbaines et les zones hors urbaines. Ils sont appelés à garder les panneaux de signalisation en bon état parce qu’ils sont responsables, de leur côté, de la préservation de la vie de l’usager de la route en lui fournissant une signalisation claire et lisible. Un panneau de signalisation en mauvais état ou un dos-d’âne ne respectant pas les normes peuvent engendrer des accidents et représentent un danger pour la vie des automobilistes.

Un durcissement des sanctions est-il envisageable ?  

Ce sujet a été évoqué par le ministre de l’Intérieur lui-même. Il a proposé de réviser à la hausse les montants de certaines contraventions relatives, par exemple, à l’arrêt, au stationnement et à l’éclairage de la voiture. Il y aura donc une augmentation du montant de certaines amendes.

D’ici 2030, réduire de 50% le nombre de victimes sur les routes

L’automatisation des infractions de circulation sera-t-elle déployée sur tout le territoire national ?  

Nous allons commencer par un certain nombre de caméras et de radars qui seront installés dans les grandes agglomérations comme le Grand Tunis, à Sfax et à Sousse. Progressivement, d’autres caméras seront installées sur beaucoup d’axes routiers où il y a des encombrements avec un risque élevé d’accidents. Au bout d’une année probablement, les caméras seraient installées sur toutes les routes. Nous allons également faire l’étalonnage des différents appareils existants pour qu’ils soient opérationnels. Mais avant tout, il faut rappeler que cette démarche nécessitera un budget conséquent et beaucoup de moyens. En effet, le déploiement de ce dispositif dépendra de la capacité financière des autorités concernées.

Outre les caméras, nous travaillerons à améliorer l’infrastructure sur certains axes routiers pour les rendre plus sûrs. Nous essayerons ainsi de sauver la vie des automobilistes même en infraction.

Quels sont les objectifs à moyen et à long termes avec la mise en application du nouveau Code de la route ?

Nos objectifs nationaux s’alignent sur ceux de la communauté internationale, cherchant d’ici 2030 à réduire de 50% le nombre de victimes sur les routes. Pour y arriver, nous allons batailler avec tous les moyens : sensibilisation, persuasion, mise à jour des lois et amélioration de l’infrastructure.

Quelles sont les tranches d’âge les plus impliquées dans les infractions de circulation ?

La tranche d’âge de 20 à 45 ans est la plus impliquée dans les infractions de la circulation. Il faut dire dans ce même registre que l’élaboration de campagnes de sensibilisation prend en considération cet élément.

Entre femmes et hommes, qui respecte le plus le Code de la route ?

Selon une étude que nous avons effectuée en 2022 et contrairement à toute attente, ce sont les hommes qui font preuve de plus de discipline par rapport aux femmes. En effet, 43.6% des conducteurs contre 25.2% des conductrices déclarent toujours respecter la vitesse limite autorisée. Par ailleurs, 21.9% des hommes contre 37.5% des femmes ne prennent pas du tout en considération les limitations de vitesse.