L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur de l’assurance promet une révolution pour sa branche automobile. Elle va permettre, à titre d’exemple, d’évaluer les coûts des réparations suite à un accident auto sans aucune intervention humaine ou de détecter des anomalies dans les déclarations de sinistre. Toutefois, l’IA -comme toute nouvelle technologie- va poser son lot de problèmes. Khaled Ghediri, ingénieur en informatique et en mathématiques et docteur en intelligence artificielle, énonce dans cette interview les tenants et les aboutissants de l’utilisation de cette nouvelle technologie dans l’assurance automobile.

Comment peut-on utiliser l’IA dans l’assurance auto ?

La lutte contre la fraude est l’un des principaux champs dans lesquels les compagnies d’assurances pourront utiliser l’intelligence artificielle. Les experts estiment que près de 10% du montant des indemnisations payées par les assureurs suite à des accidents de la route vont à la fraude, soit un montant avoisinant les 80 millions de dinars. Il suffira d’identifier les divers types de fraudes en Tunisie et de collecter les données relatives à ces pratiques pour permettre à l’IA de les reconnaître. A ce titre, la FTUSA possède déjà des données pour les classifier par types de fraudes.

L’IA pourra détecter les cas de fraude sans avoir besoin de l’intervention humaine, permettant ainsi de réduire les pertes financières causées par ce fléau. En outre, si un automobiliste veut assurer son véhicule, il va devoir consulter plusieurs agences d’assurance dans le but de comparer les différentes offres existantes et choisir celle qui lui convient le mieux. Les Chatbots pourront se charger de cette tâche en fournissant les différentes informations au client selon le modèle de voiture et les meilleures offres sur le marché sans avoir besoin de se déplacer.

Quant à l’assureur, s’il est novice dans le métier et ne possède pas assez de données, il pourra être épaulé par l’IA pour apprendre son métier rapidement grâce aux informations enregistrées par les Chatbots sur lesquels ont travaillé les assureurs pendant des années. Il n’aura plus besoin d’avoir une expérience de 10 ou de 20 ans pour pouvoir faire correctement son travail étant donné que l’intelligence artificielle va lui fournir toutes les données nécessaires à son métier. Ce sont généralement les deux points cruciaux qui profiteront aux compagnies d’assurances. Il y a, certes, d’autres volets concernés par l’IA comme la gestion des dossiers de sinistres et l’indemnisation, le marketing et la fidélisation des clients, mais les deux premiers points restent les plus importants.

Pour les compagnies d’assurances, la digitalisation n’est pas forcément leur point fort. Cela représente-t-il un frein devant l’usage de l’IA dans la filière de l’assurance automobile ?

C’est vrai que les assureurs n’ont pas atteint le niveau de digitalisation qu’ils auraient dû avoir, mais l’intelligence artificielle constitue une tendance mondiale, ce qui va forcer les compagnies d’assurances à aller plus vers le digital.

Pour utiliser l’IA d’une manière fiable, il serait important de faire connecter tous les professionnels entre eux : l’assureur, le garagiste, l’expert auto, etc. Qu’en pensez-vous ?

Absolument. Fournir des données erronées pourrait fausser toute la démarche. L’intelligence artificielle ne peut pas travailler sans des données exactes. Il faudra donc fournir toutes les données nécessaires pour que l’IA puisse être déployée de manière efficace.

Y a-t-il des exemples concrets réussis dans le monde de l’assurance automobile ayant utilisé l’IA ?

Certes, il y a des Chatbots qui aident aujourd’hui, de front, l’assureur et l’assuré. Mais je dois souligner que la réglementation revêt un rôle essentiel pour la réussite de l’utilisation de l’IA. Il nous faudra donc notre propre cadre juridique pour réglementer cette nouvelle technologie. D’ailleurs, nous avons tout ce qu’il faut pour assoir notre propre législation.

Quelles sont les changements à entreprendre au niveau du cadre juridique pour aller plus vers l’intelligence artificielle ?

Les changements concernent principalement la protection des données personnelles et la façon avec laquelle il faudra les utiliser. Il s’agira également des métiers qui vont disparaitre comme la gestion des dossiers et la rédaction des rapports d’assurance. Il faudra donc faire attention pour ne pas aggraver la crise du chômage dont souffre déjà le pays. Il s’agira par exemple de prendre l’IA comme assistance et non pas pour remplacer les employés. Ceux-ci auront plus de temps pour travailler sur d’autres aspects d’ordre stratégique, d’innovation et de diversification des marchés.

L’IA est aussi formidable en marketing et en matière de fidélisation et de la satisfaction de la clientèle. Déployer un logiciel de marketing intelligent permet par exemple de préparer des offres personnalisées dans l’assurance automobile selon la capacité et le profil de chacun.

L’assurance automobile est l’une des filiales qui souffre souvent d’un déséquilibre financier. L’IA saura-t-elle rétablir l’équilibre financier de cette branche ?

Elle en serait capable à condition que l’assureur soit en mesure de l’utiliser de la meilleure des façons. L’intelligence artificielle est une arme à double tranchant pour l’assureur. Elle pourra l’aider autant qu’elle pourra lui causer du tort. Par exemple, si elle utilise des données erronées sur un client, elle ne va pas lui proposer une offre convenable. Elle pourra donc nuire à la réputation de l’assureur au lieu de l’aider à fidéliser ses clients. Elle deviendrait ainsi un obstacle devant la rentabilité de la branche.

Quelle démarche faut-il suivre selon vous pour mieux exploiter l’IA ?

Il faudra, à mon avis, assurer une formation sur l’intelligence artificielle pour les assureurs pour qu’ils puissent utiliser les bons outils, quand et comment les utiliser. Les technologies émergentes nécessitent généralement une formation et une préparation à l’image des voitures autonomes.

Quelles sont les limites de l’intelligence artificielle ?

Comme je l’ai déjà mentionné, l’IA pourra récolter des données erronées ou exploiter les données personnelles des utilisateurs. La cybersécurité est donc un point sur lequel il faudrait travailler suffisamment avant d’introduire l’IA.