La Tunisie a, de toute évidence, pris du retard par rapport à la mobilité électrique. Les causes et les contraintes sont multiples allant des textes juridiques incompatibles à l’introduction de la voiture électrique, la cherté des prix de cette dernière en comparaison avec la voiture thermique, le scepticisme du Tunisien par rapport à cette nouvelle technologie, jusqu’à l’absence d’un tarif pour que les entrepreneurs de bornes de recharge puissent vendre l’électricité.
Pour rattraper le temps perdu, l’ANME (Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie) veut accélérer les choses malgré les contraintes auxquelles elle fait face. Son directeur général, Fathi Hanchi, chargé également d’élaborer la stratégie de la mobilité électrique dans le cadre de la task-force mise en place en 2017, revient dans cette interview sur le processus emprunté et les prochaines étapes envisagées.
Comment évaluez-vous l’état d’avancement vers la mobilité électrique en Tunisie ?
Suite à une évaluation effectuée en 2022 en collaboration avec toutes les parties prenantes, nous nous sommes rendus compte que l’exemption des véhicules 100% électriques de payer les droits de douane n’a vraiment pas aidé à la stimulation de la filière de la mobilité électrique en Tunisie.
Cela revient essentiellement à deux raisons. Bien que le gap entre le prix des voitures thermiques et électriques ait été réduit avec la nouvelle mesure de l’État en faveur des voitures électriques, il demeure quand même important. De plus, le consommateur tunisien demeure toujours sceptique envers la voiture électrique à cause de la question de la disponibilité des bornes de recharge et de l’autonomie de la batterie elle-même.
Tout le monde est d’accord sur ce point. Pour nous défaire de l’un de ces facteurs en vue de rassurer le consommateur, nous avons, dans une première étape, élaboré en concertation avec les différents intervenants publics et privés tout un plan d’actions dans le cadre de la task-force mise en place en 2017. Ce plan s’articule autour de 10 mesures principales dont la première est institutionnelle et consiste à désigner un responsable pour la stratégie de déploiement des bornes de recharge. Il s’agit, ensuite, de fixer un objectif quantitatif à atteindre en déterminant le nombre de bornes à déployer et les lieux où les implanter.
Ensuite, il y a les mesures contraignantes et les normes à appliquer pour installer ces bornes. Autrement dit, il ne suffira pas, par exemple, d’équiper toutes les stations-service de bornes de recharge électrique, mais il sera judicieux également d’y installer des bornes rapides et conformes aux standards internationaux dans le but de réduire le temps de recharge et ainsi le temps d’attente.
Qu’avez-vous proposé concrètement pour accélérer la mobilité électrique ?
Nous avons justement proposé d’équiper toutes les stations-service se situant sur les autoroutes par des bornes de recharge rapide et ultra-rapide. C’est-à-dire des bornes de recharge avec une capacité de plus de 150 kW DC. Notre stratégie prévoit, par ailleurs, que toutes les stations-service sur le territoire tunisien soient équipées à l’horizon 2030 par des bornes de recharge. Nous avons de même proposé aux municipalités pour qu’elles les installent sur les voiries, dans les espaces commerciaux, les grandes surfaces et les résidences collectives.
La STEG devra, de son côté, prévoir un tarif pas cher pour la recharge intelligente qui encouragera les automobilistes à programmer la recharge de leurs voitures électriques à partir d’une heure du matin. Je dois souligner dans ce même registre que ces propositions nécessiteront d’être approuvées par le gouvernement lors d’un conseil ministériel.
D’autres mesures techniques seront également indispensables en vue de préparer le terrain à la mobilité électrique. Elles concernent notamment le renforcement de la puissance électrique pour les fournisseurs et le cahier des charges pour l’installation des bornes de recharge. Il faut souligner encore que nous sommes dans une phase de formation afin de déterminer les mesures nécessaires à prendre et fixer les engagements des entrepreneurs qui vont s’investir dans l’installation des bornes de recharge.
Pour y parvenir, un travail au niveau de l’Innorpi et du Cetime (Centre technique des industries mécaniques et électriques) s’impose.
Le consommateur tunisien demeure toujours sceptique envers la voiture électrique et son autonomie
Quelle orientation tarifaire adoptez-vous pour la vente de l’électricité par les entrepreneurs des bornes de recharge ?
Outre le prix de vente d’électricité par la Steg à l’entrepreneur, celui-ci aura des coûts à partir desquels il fixera ses prix, notamment la valeur d’achat de la borne dont le prix va de 8.000 à 120.000 dinars. En effet, il devra calculer le coût de revient et son bénéfice pour qu’il puisse fixer le tarif de vente du Kwh au public. Nous travaillons d’abord pour rendre cette opération possible.
Les détails seront déterminés au fur et à mesure. Quoi qu’il en soit, il ne s’agira pas d’inventer la roue. Nous nous inspirerons de ce qui est proposé dans les autres pays et cela ne prendra pas beaucoup de temps.
Il restera après les mesures à caractère économique. Si un entrepreneur souhaite s’investir dans un projet de bornes de recharge tandis que le nombre de voitures électriques circulant en Tunisie est limité, cela ne permettra pas de rentabiliser son projet.
Notre rôle est de l’encourager à travers des avantages fiscaux et en lui octroyant une période de grâce durant laquelle il génèrera un bon retour sur investissement, en attendant que le nombre de véhicules électriques augmentent sur nos routes. Dans cette optique, nous considérons que le Fonds de transition énergétique pourra jouer un rôle et aider au lancement des premiers projets de bornes de recharge électrique. Ces mesures seront particulièrement destinées aux entrepreneurs ayant des partenariats avec les municipalités et les grandes surfaces. Le projet pilote préparé vise 5000 véhicules électriques d’ici 2025.
Cet objectif de 5000 véhicules électriques pourrait-il être révisé à la hausse étant donné que certains concessionnaires commencent déjà à proposer des modèles électriques en vente ?
L’objectif est plutôt élevé et ambitieux. Si nous parvenons à le réaliser, nous pourrions évidemment le réviser à la hausse. Je dirais, néanmoins, qu’il ne sera pas facile à atteindre. Ce constat est basé sur une expérience que nous avons vécue. Nous avons lancé un appel d’offres en vue d’acheter une voiture électrique, mais un seul concessionnaire y a répondu. L’offre est indisponible. A mon avis, les concessionnaires eux-mêmes ne sont pas encore prêts aujourd’hui parce qu’il y a une grande incertitude actuellement par rapport au développement de la mobilité électrique en Tunisie. Si demain le plan est approuvé par le gouvernement avec la mise à exécution des différents points et mesures proposés, cela pourrait aider à stimuler le marché et les ventes de voitures électriques.
Combien de bornes de recharge seront déployées pour satisfaire les besoins des 5000 véhicules électriques prévus à l’horizon 2025 et les 50.000 prévues pour 2030 ?
Afin de déterminer le besoin en bornes de recharge électriques à l’horizon de 2025, nous avons repris l’indicateur européen qui combine le nombre de voitures par borne et la puissance de cette dernière. Selon nos calculs basés sur ces indicateurs, le pays aura besoin de 150 bornes de recharge en 2025 et 500 en 2030, sachant que le réseau de bornes déployé actuellement sur le territoire tunisien compte 48 points.
« Nous visons 5000 véhicules électriques à l’horizon de 2025 et 50.000 en 2030 »
Êtes-vous optimistes pour l’avenir de la mobilité électrique en Tunisie ?
Nous tenons à ce que tout se passe bien, d’autant plus que le monde avance à grands pas vers la mobilité électrique. Celle-ci représente d’ailleurs l’un des instruments importants de la mise en œuvre de notre stratégie énergétique. Nous œuvrons en effet à accélérer le rythme, d’autant que la ministre de l’Industrie prend très au sérieux ce dossier.