Entretien avec : Anouar Ben Ammar, Directeur général Ennakl Automobiles

Représentant officiel en Tunisie de plusieurs des marques généralistes et premium du groupe Volkswagen, Ennakl Automobiles capitalise sur une approche distinctive s’articulant autour de trois principaux axes : diversification des produits, service après-vente de qualité ainsi que proximité et satisfaction clients. Cette stratégie lui a permis en 2023 d’être le concessionnaire leader sur le marché tunisien et de réaliser de bons résultats en termes de part de marché. Dans cet entretien, Anouar Ben Ammar, directeur général du concessionnaire, aborde la stratégie déployée pour rester compétitive sur le marché automobile tunisien et commente, par la suite, des questions d’actualité liées au secteur comme le véhicule électrique et le nouveau cahier des charges des importateurs, annoncé par le gouvernement.

Quels ont été les faits marquants de l’année 2023 pour Ennakl Automobiles ?

2023 a été une bonne année au cours de laquelle nous avons consolidé notre position de leader sur le marché en termes de part de marché laquelle s’est considérablement améliorée. Nous avons, de même, œuvré à la consolidation de nos différentes marques, sachant que Ennakl Automobiles est le concessionnaire le plus diversifié en termes d’offres. Celles-ci couvrent tous les segments de voitures en Tunisie à travers les marques généralistes (Volkswagen, Seat et Škoda), les marques premium (Audi et Cupra) et la marque ultra-premium (Porsche). Cela nous permet de répondre aux différentes attentes et au désir du client selon son budget et ses préférences.

Ennakl est, selon les statistiques, parmi les premiers en termes de ventes de véhicules électriques à travers ses deux marques Audi et Porsche »

2023 a été, en outre, une année où nous avons lancé de nouveaux modèles. D’abord la Volkswagen T-Cross commercialisée pour la première fois en Tunisie. Le succès de ce modèle s’est manifesté par le biais d’une demande importante de la part de notre clientèle. La Volkswagen Virtus est un autre modèle lancé l’an dernier et ayant plu aussi aux clients. Idem pour la marque Škoda et son nouveau modèle Kushaq dont la commercialisation a démarré au quatrième trimestre. De plus, nous avons importé l’Audi E-tron GT 2023 qui est la nouvelle berline 100% électrique.

En plus des nouveaux modèles, nous avons célébré plusieurs événements, particulièrement le lancement officiel en Tunisie de la marque Cupra (avec les modèles Leon et Formentor) et la célébration du 75ème anniversaire de Porsche, événement durant lequel nous avons présenté la nouvelle Cayenne. Sans oublier un autre événement très particulier pour Škoda dans la mesure où l’ambassade de la République tchèque en Tunisie a choisi le showroom de la marque pour y célébrer sa fête nationale le 28 septembre dernier.

Votre réseau a-t-il continué d’évoluer ?

Nous avons élargi et renforcé notre réseau avec l’ouverture au mois de juin dernier d’une nouvelle agence dédiée à la marque Audi à Riadh Al Andalous, outre la nouvelle agence Škoda à La Charguia 1 à Tunis ainsi que les ateliers agréés Porsche à Sousse et à Sfax. En somme, notre réseau compte actuellement une trentaine de points répartis entre deux catégories d’agences à savoir les agences 3S (showroom, atelier et revendeur de pièces de rechange) qui avoisinent 20 sites et le reste en 2S (atelier et revendeur de pièces de rechange).

Comment évolue le cours de l’action Ennakl en Bourse ?

L’action est stable et sûre avec une valeur qui s’est située entre 11 et 12 dinars tout au long des dernières années. Elle bénéficie d’un bon rendement et elle est appréciée par nos actionnaires. Quant au dernier exercice, elle a clôturé l’année à 12,5 DT, réalisant ainsi une augmentation par rapport aux années précédentes. Je rappelle, dans cette lignée, que Ennakl Automobiles est une entreprise solide dotée d’une gouvernance institutionnelle et bénéficie de la confiance de ses actionnaires que ce soit en Tunisie ou à Casablanca, étant donné que nous sommes la seule entreprise tunisienne cotée en dehors du territoire à savoir le Maroc.

Vous avez importé des modèles Audi et Porsche électriques et hybrides mais non pas de la marque Volkswagen qui possède pourtant sa propre gamme électrique à l’étranger. Quelle est votre démarche à ce propos ? 

Nous sommes prêts pour la commercialisation de l’électrique en Tunisie. Ennakl est, selon les statistiques, parmi les premiers en termes de ventes de véhicules électriques à travers ses deux marques Audi et Porsche. Il reste, en revanche, à savoir la raison pour laquelle le marché de l’électrique en Tunisie ne s’est pas développé dans une dimension plus large, se limitant pour le moment aux marques premium. En fait, les challenges sont multiples et l’élargissement de l’usage de l’électrique pour toucher les autres segments requiert le développement d’une stratégie propre à la filière entière de l’électrique. Le premier axe de cette stratégie concerne l’infrastructure et le déploiement à large échelle des bornes de recharge pour les rendre disponibles et accessibles au client. Jusqu’à présent, les bornes disponibles sont accessibles gratuitement. Elles sont installées notamment par des stations-service qui utilisent l’énergie photovoltaïque. Cela fait partie de leur stratégie marketing et pour se donner une connotation d’engagement environnemental.

La STEG sera tenue, par conséquent, d’étendre son réseau et de renforcer sa capacité de distribution de l’électricité »

Toutefois, nous ne pouvons pas, sur le plan pratique, développer une filière reposant sur la gratuité. Il va falloir mettre en place un cadre juridique et légal dans le but d’encourager les investisseurs dans ce domaine parce que le déploiement des réseaux de bornes de recharge électrique n’est pas lié aux stations-service uniquement. Les supermarchés, les parkings municipaux, les entreprises pour leurs employés, les détenteurs de parkings sont tous concernés et devraient avoir l’autorisation de vendre de l’électricité. Mais la loi ne le permet pas actuellement. Cela représente le principal obstacle au développement de cette filière. A présent, nos clients qui achètent des voitures électriques, nous leur offrons des bornes de recharge pour les installer à domicile. Or, pour pouvoir voyager, ils vont se poser la question autour de la disponibilité des bornes de recharge accessible au public sur leur parcours. Le deuxième challenge est en relation avec le renforcement du réseau de la STEG qui sera énormément sollicité avec une migration de l’énergie fossile vers l’énergie électrique. La STEG sera tenue, par conséquent, d’étendre son réseau et de renforcer sa capacité de distribution de l’électricité à des quantités adéquates. Le troisième volet concerne le développement des énergies renouvelables en Tunisie pour sortir de l’indépendance du fossile qui pèse lourd sur notre balance de paiements. En optant pour ces trois mesures, nous aurons une véritable stratégie nationale permettant de développer et d’encourager la mobilité électrique. D’autant qu’il y aura, demain, non seulement des voitures, mais aussi des bus, des trains et toutes sortes de moyens de transport fonctionnant à l’électricité.

Comment jugez-vous, à ce propos, les nouvelles dispositions de la loi de finances 2024 relatives aux véhicules électriques ?

Nous tenons tout d’abord à saluer ces nouvelles mesures susceptibles d’encourager beaucoup de clients à opter pour des
voitures électriques, d’autant plus qu’elles illustrent la volonté du gouvernement à entrer dans l’ère de l’électrique. Néanmoins, nous souhaiterions que ces mesures soient accompagnées d’autres permettant d’encourager l’investissement dans les bornes de recharge pour les raisons que je viens d’évoquer.

Certains prétendent que l’obligation de passer à l’électrique est un problème intra-européen et que les autres régions du monde ne sont pas concernées. Etes-vous, en tant que représentant de marques européennes, convaincu que l’électrique est la technologie qu’il faut dans le futur pour la Tunisie ? Ne redoutez-vous pas la concurrence extra-européenne ?

La concurrence n’est pas basée uniquement sur l’énergie utilisée par la voiture. Nous sommes convaincus que la vente d’une voiture – que ce soit électrique, diesel ou essence – doit être accompagnée par des mesures susceptibles de rassurer le client. A ce titre, le service après-vente est un facteur déterminant avec tout ce qui va avec : des techniciens qualifiés, un réseau développé couvrant tout le territoire, le respect des règles et des standards de maintenance, le respect de l’environnement, l’image de marque et le sérieux du concessionnaire. Tout cela fait partie de la concurrence. L’entreprise Ennakl a toujours adopté cette vision en élaborant toute une stratégie pour accompagner nos clients. Ceux-ci sont rassurés quand ils achètent de chez Ennakl ou auprès de ses réseaux puisqu’ils entretiendront toujours convenablement leur voiture et bénéficieront d’une valeur de revente de leur véhicule élevée. De ce fait, la concurrence ne tient pas uniquement à la voiture elle-même mais aussi à la stratégie du concessionnaire, sa façon de voir son métier et sa capacité d’apporter de la valeur à ses clients et faire en sorte de les rassurer.

Il est contradictoire que le pays soit parmi les grands exportateurs de composants automobiles, mais qu’il ne tire pas d’avantages créateurs de valeur pour sa balance commerciale.

Revenons à la question de l’électrique : nous n’avons pas le choix d’aller ou pas vers cette technologie étant donné que tout le monde y va déjà et l’hydrogène pourrait suivre après. Notre savoir-faire consiste dans la façon de prendre cette technologie, de l’adapter à notre environnement et surtout d’œuvrer pour qu’elle soit accessible et valorisée auprès de nos clients.

Proposerez-vous une voiture populaire en 2024 ?

En réalité, la limitation de prix imposée actuellement (par le ministère du Commerce ndlr) crée un handicap en ce qui concerne la voiture populaire d’autant qu’elle pose une autre limitation relative à la carrosserie du véhicule. En d’autres termes, seules les petites carrosseries sont proposées en voitures populaires. Nous aurions voulu que le spectre soit élargi pour la voiture populaire tout en gardant la condition des 4 CV. Nous possédons des modèles avec une puissance fiscale de 4 CV mais dotés d’une carrosserie plus importante à l’instar de la Fabia et de l’Ibiza. Si les autorités les acceptent, nous aurons effectivement une offre à proposer dans ce sens en 2024.

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« S’assurer que les clients qui achètent de chez nous une voiture d’occasion sera propre, réparée et entretenue dans les règles de l’art ».

Où en est votre activité de reprise de voitures d’occasion Das Welt ?

Je précise d’abord que la marque Das Welt Auto va disparaître du marché mondial. Pour cela, nous lancerons un nouveau label baptisé « Ennakl Occasions ». Ce sera une marque locale d’achat et de vente des voitures d’occasion toutes marques confondues. Nous prévoyons d’élargir l’activité en 2024 sur le Grand Tunis et à travers notre réseau sur tout le territoire. Nous sommes aussi sur le point de développer notre propre Argus qui sera aligné à ce qui est pratiqué ailleurs mais orienté vers la tranche des voitures que nous ciblons. Le choix des véhicules sera également limité par l’âge et le kilométrage pour que nous puissions offrir des voitures de qualité. Notre but aussi est de s’assurer que les clients qui achètent de chez nous une voiture d’occasion sera propre, réparée et entretenue dans les règles de l’art. Nous offrons, en outre, une garantie qui reste tributaire du modèle et de l’évaluation de la voiture.

Comment se porte l’activité de location de voitures ?

Nous avançons sur la location de voitures avec Hertz. Nous sommes parvenus à avoir une part de marché assez considérable et nous continuons à miser sur cette activité sur tout le territoire sachant que nous sommes présents, outre sur le Grand Tunis, également à Monastir, à Sfax et à Djerba. Nous continuerons en 2024 à élargir notre réseau pour nous approcher plus encore de nos clients. Notre offre s’articule autour de la location courte et longue durées.

Quelles sont vos attentes par rapport au cahier des charges, annoncé par le gouvernement, qui va régir votre métier ?

Avant d’aborder la question du nouveau cahier des charges, je tiens d’abord à saluer la décision de levée du blocage d’attribution des agréments de concessions automobiles parce que nous souhaitons être dans un marché de concurrence. Cela nécessite, en contrepartie, de préparer un bon cahier des charges en mesure de protéger le client. Notre activité ne se limite pas uniquement à l’importation et à la distribution des voitures mais il consiste aussi et surtout à fournir un service après-vente adéquat aux clients. Celui-ci repose sur l’élaboration d’une stratégie, des investissements pour la fourniture des pièces de rechange, de la qualification de la main-d’œuvre, du réseau et tout ce qu’il faut mettre à la disposition du client pour l’entretien de sa voiture. Le cahier des charges va protéger le client et s’assurer que l’investisseur qui importera demain n’importe quelle marque de voitures sera en mesure d’offrir un produit de qualité à ses clients. En assurant ces conditions avec une concurrence loyale, que le meilleur gagne car tout le monde sera gagnant et particulièrement le client. Nous espérons donc que ce cahier des charges saura réglementer le métier.

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Anouar Ben Ammar: « Le groupe Volkswagen est parmi ces constructeurs qui contribuent à l’achat des composants électriques et mécaniques de la Tunisie pour beaucoup de ses modèles : Volkswagen, Seat, Škoda, Audi. »

Il reste par ailleurs la question des quotas. La Tunisie exporte des composants électriques et mécaniques à des constructeurs automobiles. Il faudra réfléchir aussi à encourager cette industrie. Il est contradictoire que le pays soit parmi les grands exportateurs de composants automobiles, mais qu’il ne tire pas d’avantages créateurs de valeur pour sa balance commerciale. Il s’agirait d’imaginer un mécanisme qui puisse appuyer ces constructeurs en les aidant à créer de la valeur ajoutée pour la Tunisie en important des composants automobiles, un secteur créateur de main-d’œuvre locale. Nous avons beaucoup à gagner en appuyant cette industrie. Le groupe Volkswagen est parmi ces constructeurs qui contribuent à l’achat des composants électriques et mécaniques de la Tunisie pour beaucoup de ses modèles : Volkswagen, Seat, Škoda, Audi.

Est-ce à dire que vous êtes favorable au retour du système de compensation ?

Je ne dirais pas le même système mais plutôt un autre réformé. Il ne faut pas non plus lier cela à l’importation étant donné que certains confrères importent des voitures dont les pièces ne sont pas fabriquées en Tunisie. Quoi qu’il en soit, nous croyons que le marché peut être régularisé par la concurrence. Il y a, en revanche, des enjeux importants pour le pays à ne pas négliger. Il faudra trouver l’équation assurant, de front, la concurrence et appuyant aussi notre industrie et valoriser notre savoir-faire à l’étranger.

Etes-vous impliqués dans cette démarche ?

Nous ne sommes pas impliqués directement. Mais je pense que notre Chambre syndicale qui porte la vision du secteur devrait y être impliquée. Nous souhaitons en tout cas qu’elle soit appelée pour collaborer avec le ministère de tutelle afin de mettre en place un cahier des charges et un nouveau système de quotas orienté vers la libéralisation du marché. J’ajoute que le développement d’un cadre pour la mobilité électrique est nécessaire également pour le secteur.