Nexans Autoelectric Tunisie est l’exemple-type de ces entreprises capables de relever d’énormes défis même dans un contexte défavorable, en transformant les crises en opportunités. Elle a en effet réussi récemment à dupliquer localement l’activité de sa filiale ukrainienne en un temps record. L’occasion de partager avec son CEO Afrique du Nord et directeur Tunisie de l’expérience et aborder la question du marché mondial du câblage automobile.
Parlez-nous de Nexans Autoelectric et de sa filiale tunisienne ?
Nexans Autoelectric est une société allemande qui fait partie du groupe français Nexans. Notre métier est le câblage automobile utilisé sur les voitures électriques et thermiques. Nous sommes présents en Tunisie depuis 2009 où nous possédons actuellement cinq sites de production. Le premier a démarré à Ksar Hellal (Monastir). D’autres ont été inaugurés ultérieurement à Sousse. Au mois de septembre 2022, une cinquième usine a été mise en place à Soliman (Nabeul).
Monter une usine de production de câblage en seulement deux mois, c’est un exploit
La nouvelle usine de Soliman a été mise en place en un temps record. Plus d’éclaircissements sur cette expérience inédite ?
C’est une opportunité qui s’est présentée à la Tunisie suite à la crise de la guerre en Ukraine que nous avons saisie avec l’équipe tunisienne parce que je suis le CEO Afrique du Nord de la société et également le directeur général de sa filiale tunisienne.
En fait, Nexans Autoelectric exprimait sa volonté de dupliquer les activités de sa filiale en Ukraine qui employait 3000 personnes sur trois sites. Nous avons donc présenté nos concepts avec les moyens, les surfaces et les usines que nous avions, avec la possibilité de transférer ses activités en un temps record. Le choix est tombé sur la Tunisie et nous avons réussi ce challenge. Aujourd’hui, je suis vraiment fier en tant que Tunisien de l’avoir fait. Nous parlons beaucoup de la bureaucratie tunisienne, mais quand nous voulons, nous pouvons.
La nouvelle unité de production à Soliman est composée de compétences 100% tunisiennes.
En fait, je suis depuis 30 ans dans le domaine de l’industrie automobile et j’ai travaillé dans plusieurs pays comme le Maroc, le Mexique, la France mais jamais un tel défi n’a été réussi, comme nous l’avons fait en Tunisie parce qu’un pareil projet nécessite d’habitude entre 2 et 3 ans. Monter une usine de production de câblage en seulement deux mois, c’est un exploit exceptionnel et énorme qui a eu un effet merveilleux auprès de nos clients dont BMW, Mercedes, Porsche et Bugatti.
Ce qui accroît encore plus notre fierté, c’est que nous développons et produisons des câbles destinés aux marques premium. Néanmoins, autant cela nous réjouit, autant cela nous chagrine, tout en étant conscient que cela ne se passera pas toujours de la même manière et un tel exploit ne peut pas toujours réussir dans les circonstances et les conditions actuelles. J’ajoute que la nouvelle unité de production à Soliman composée de compétences 100% tunisiennes emploie maintenant 600 personnes.
Elle permettra de créer 1500 nouveaux postes d’emplois, avec un montant d’investissement total qui s’élève à 21 millions d’euros.
Quels facteurs ont joué en votre faveur afin d’avoir l’accord de Nexans Autoelectric pour pouvoir transférer l’activité de la filiale d’Ukraine en Tunisie ?
Il s’agit tout d’abord de la réactivité parce nous avons vite compris l’enjeu et nous avons décidé de réagir sans attendre, en étant conscient qu’une voiture qui n’est pas produite signifie un important manque à gagner et une voiture non livrée à son client. Cela veut dire qu’il y a eu le risque de perdre un marché quelque part. En contrepartie, des concurrents étaient prêts à sauter sur l’occasion pour le récupérer, particulièrement sur le marché électrique du premium où Tesla semble être une alternative pertinente.
Une fois perdu, le client pourra ne plus revenir. Cela était d’ailleurs le grand souci des Allemands qui ne voulaient pas voir ce scénario se produire. Ils ont donc mobilisé tous les moyens pour effectuer une duplication de la production de l’Ukraine dans un autre pays.
En tant que représentant de la société en Afrique du Nord, nous avons fait un benchmark. Nous sommes allés voir au Maroc, en Egypte et en Tunisie. Il faut dire que ce n’est pas le prix qui a joué un rôle parce que le coût en Egypte est moins cher. Au Maroc, bien qu’il y ait une qualité de travail extraordinaire, le temps a joué un rôle déterminant en notre faveur. En fait, la Tunisie offre le compromis le plus important étant donné que le facteur temps était également crucial en proposant de dupliquer la production de l’Ukraine en un temps record.
Sur le plan pratique, nous avons créé de l’espace dans les quatre sites déjà existants en exploitant chaque mètre carré inexploité et en renforçant le nombre d’employés pour atteindre désormais la barre des 5000. En parallèle, nous avons assuré la mise en marche du nouveau site de Soliman.
Il faut dire que cela n’a pas été facile parce que la technicité et la qualité demandées sont de très haut niveau de même que nos clients avaient des exigences très élevées pour maintenir le standard premium. Maintenant, tout fonctionne parfaitement et nous livrons un câblage de haute technologie monté sur les voitures Porsche, BMW, Mercedes, etc.
Quelles sont les perspectives de développement de votre activité avec la nouvelle unité de Soliman ?
Le futur de l’automobile reposera sur les voitures autonomes et électriques. Il y a en effet une révolution dans le monde de l’automobile en général de telle sorte que les voitures d’aujourd’hui ne seront plus celles de demain. Nous produisons ce que nous appelons le Main Harness ou le câblage majeur qui constitue les nerfs de la voiture connectant les différents engins. Nous avons mis un pied dans ce business avec 50% de notre chiffre d’affaires provenant des câbles High Voltage qui transfèrent l’énergie de la batterie vers le moteur. Ce sont des câbles très robustes mais n’ayant pas vraiment une grande valeur ajoutée.
En revanche, il y a le câblage dit Low Voltage où le potentiel est plus important. Dans cette perspective, les 50% restants seront orientés vers ce business étant donné que le câblage combustible va disparaitre à partir de 2035. Nous sommes donc en train de transférer cette partie du câble moteur combustible vers l’électrique.
Dans ce même registre, je souligne que la Tunisie pourra profiter de ce potentiel et se préparer pour profiter des opportunités mondiales offertes au pays. Il faut savoir que les câbles Low Voltage ne peuvent pas être produits en stock car c’est une industrie qui relève du Just in Time où la fabrication et la livraison se font en quelques jours seulement.
Nous ne pouvons donc pas les fabriquer par exemple au Bengladesh ou en Inde pour le marché européen puisqu’ils nécessitent plusieurs semaines avant d’arriver à leur destination. Ce câblage doit être produit avant une semaine au maximum étant donné que les marques premium donnent la possibilité à leurs clients de changer les options sur leurs voitures jusqu’à quelques jours avant la production.
Nexans Autoelectric compte actuellement 5 sites de production qui emploient environ 5000 salariés et projette de monter à 6000 emplois prochainement.
Nexans Autoelectric Tunisie s’est-elle lancée dans ce business ?
En réalité, nous sommes sur le point de faire notre business plan pour aller dans cette démarche en attendant que la Tunisie mette en exploitation le port en eau profonde d’Enfidha car ce dernier pourra jouer un rôle important et beaucoup aider les sociétés tunisiennes.
Les restrictions imposées sur les importations pourraient-elles avoir un impact sur l’industrie automobile ?
En ce qui nous concerne, je dis non étant donné que nos produits sont 100% destinés à l’export. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il ne faudrait pas faire de restrictions mais plutôt d’engager des partenariats Win-Win. En d’autres termes, il vaut mieux proposer au constructeur qui vend beaucoup de voitures en Tunisie un deal consistant à créer de l’emploi en Tunisie à travers ses fournisseurs installés dans le pays, le montage en CKD ou toute autre forme d’activité.
Il faut dire aussi que ce n’est pas normal qu’un constructeur qui ne construit aucun composant en Tunisie y soit le premier vendeur tandis que d’autres qui investissent et produisent en Tunisie, l’Etat leur impose les mêmes taxes. L’intelligence d’un gouvernement est de faire la différence selon la situation des acteurs et non pas de concevoir une loi valable pour tout le monde.