A la croisée des chemins entre une industrie automobile classique et une mutation vers les nouvelles niches porteuses comme la voiture électrique et intelligente, la Tunisie se doit de rapidement trancher pour ne pas se retrouver à la traîne de ce secteur à forte valeur ajoutée. Abdelbasset Ghanmi, directeur général de la FIPA, aborde dans cet entretien les exigences de la prochaine étape pour faire évoluer l’industrie automobile en Tunisie et énumère les différentes phases à entreprendre pour y parvenir.
Après la TICAD 8 qui s’est déroulée en Tunisie, quel bilan pour le secteur de l’automobile ?
La Ticad est une action de financement de projets. On y a annoncé cette année 30 milliards de dollars de financements de projets avec 4 milliards de dollars supplémentaires pour le partenariat public-privé (PPP). Toutefois, il ne faut pas s’attendre à des résultats immédiats. C’est tout un processus et un travail de suivi jusqu’à 2025. La Tunisie a présenté un livre blanc avec 46 projets dans les secteurs porteurs comme l’énergie renouvelable, le carburant, etc. Quant au secteur de l’automobile, des négociations sont en cours avec certaines entreprises japonaises pour étudier la possibilité d’investir en Tunisie.
Quelle stratégie la FIPA a-t-elle adoptée afin de promouvoir l’industrie automobile et ramener des IDE (investissements directs étrangers) dans ce secteur ?
Afin de mobiliser des ressources étrangères et créer des projets productifs en Tunisie dans le secteur des composants automobiles, la FIPA a fixé, depuis l’année 2020, trois priorités qui s’inscrivent dans le cadre de sa stratégie promotionnelle. Il s’agit tout d’abord de retenir et de fidéliser les investissements étrangers actuels dans les secteurs cibles, y compris l’industrie automobile, en aidant ces entreprises à préserver leurs activités en Tunisie et faire prospérer les investissements à venir.
La seconde priorité consiste à identifier de nouveaux investisseurs potentiels dans les destinations traditionnelles et nouvelles, en faisant appel aux services des cabinets d’expertise. Il s’agit d’un programme de prospection directe déjà commencé en 2021 et ayant permis à la FIPA, par l’intermédiaire de ses bureaux en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni d’adopter une réelle approche client qui personnalise son travail et permet de l’aligner sur les meilleures pratiques utilisées au niveau international pour attirer les investissements directs étrangers.
Quant à la troisième priorité, elle concerne la mise en valeur, à travers une approche de communication agressive, des avantages compétitifs de la Tunisie et des opportunités d’investissement dans certains secteurs, notamment celui de l’automobile à travers la promotion et la communication numérique.
Avez-vous des synergies avec la TAA (Tunisian Automotive Association) et les organismes nationaux et internationaux pour donner une meilleure visibilité au secteur ?
La FIPA adopte un processus stratégique d’échange et bénéficie d’une dynamique de collaboration fructueuse avec la TAA, les acteurs de l’écosystème et les organismes nationaux et internationaux à travers des stratégies d’intervention efficace pour que les entreprises étrangères installées en Tunisie puissent faire face aux différents challenges.
En outre, un pacte pour la compétitivité de l’industrie automobile a été signé le 6 juillet 2022 entre le ministère de l’Industrie, des Mines et de l’Energie et le secteur privé représenté par la TAA. Ce pacte (la FIPA fait partie de la task force de suivi de son exécution), vise à promouvoir conjointement le secteur de l’industrie automobile, à améliorer sa compétitivité et à développer ses exportations ainsi que son employabilité.
Quelles sont les exigences des investisseurs étrangers dans le secteur automobile pour qu’ils s’installent en Tunisie ?
Le choix d’implantation des investisseurs étrangers dépend du degré d’adéquation de leurs objectifs et des facteurs d’attractivité offerts par le pays d’accueil. Leurs exigences pour choisir la Tunisie comme territoire d’accueil sont principalement axées sur la simplification des procédures administratives et la réduction des délais de réponse par l’administration. Il s’agit également de la proximité géographique, de la logistique de transport, de la disponibilité, de la qualification et du coût de la main d’œuvre ainsi que l’existence des opportunités dans des secteurs stratégiques qui riment avec leurs objectifs.
Dans ce sens, la Tunisie est très regardée par la communauté d’affaires internationale et est de plus en plus perçue comme un marché relais pour conquérir les marchés africains à fort potentiel de développement.
La Tunisie est de plus en plus perçue comme un marché relais pour conquérir les marchés africains à fort potentiel de développement.
Pensez-vous que les produits tunisiens sont encore compétitifs en termes de qualité et de prix ?
Les produits tunisiens demeurent compétitifs, même pendant la pandémie, où l’industrie tunisienne a fait preuve de résilience face aux chocs internes et externes. Le secteur des composants automobiles suit actuellement la tendance d’un croisement de filières avec les opportunités offertes par le digital (systèmes embarqués, nouvelles applications liées aux véhicules autonomes et connectées…).
Le site tunisien demeure fortement sollicité par les investisseurs étrangers qui reconnaissent notre savoir-faire et notre potentiel technique, ce qui leur permet d’avoir des produits compétitifs de qualité et à haute valeur ajoutée dans les meilleurs délais.
Quelles sont perspectives de développement du secteur de l’automobile selon vous ? Et que préconisez-vous pour rendre le climat des affaires plus favorable aux investisseurs étrangers ?
Afin d’améliorer sa compétitivité à l’échelle mondiale en tant que destination attractive pour le secteur de l’équipement automobile dans cette période post-Covid, nous pensons que la Tunisie devra :
• Investir dans l’attraction d’un premier grand site d’un constructeur automobile, ce qui nécessite la préparation et l’optimisation de ses conditions de base.
• Favoriser et encourager le développement des clusters existants et en créer d’autres spécialisés.
• Se positionner dans les nouvelles industries liées notamment aux nouvelles technologies des véhicules électriques, hybrides et autonomes. Le pays doit maîtriser ces nouveautés et se placer en tant que fournisseur.
En outre, une étude sur les perspectives de développement du secteur automobile en Tunisie à l’horizon 2030 a révélé la nécessité d’adapter le marché tunisien et la législation aux évolutions du marché automobile mondial. L’étude a également recommandé la nécessité pour le marché tunisien de renforcer le statut des véhicules à énergie alternative et de mettre en place des incitations à leur utilisation.
Quant au climat des affaires en Tunisie, afin de le rendre plus approprié et plus favorable à l’investissement dans le secteur automobile, nous proposons les solutions suivantes :
• Développer et opérationnaliser l’observatoire du secteur automobile pour permettre de centraliser et de piloter efficacement les principales données sectorielles et d’optimiser le parcours investisseur.
• Définir des packages incitatifs spécifiques au secteur à l’instar des principales destinations concurrentes pour renforcer l’attractivité de la destination Tunisie et maximiser la conversion des opportunités d’investissements provenant des opérations de relocalisation des acteurs internationaux en alignant les priorités sur les nouveaux segments à haute valeur ajoutée.
• Développer un site industriel dédié au secteur de l’automobile prêt à l’emploi (desserte, traitement des déchets, superficie de plus de 180 ha pour un constructeur, plus de 100 ha pour les fabricants d’équipement d’origine (FEO) et plus de 15 ha pour les producteurs de composants Tier 1 et 2 …) et un plan d’action visant le renforcement de l’offre foncière conformément aux attentes des investisseurs.
• Concrétiser les projets en cours visant le renforcement et le développement des infrastructures portuaires de la Tunisie, notamment la concrétisation des quais 8 et 9 du port de Radès et la mise à niveau des ports de Bizerte et de Zarzis. Accélérer les démarches relatives au développement du port en eau profonde d’Enfidha.
• Assurer un parcours 100% digital au profit des investisseurs.
Qu’avez-vous préparé dans le cadre de la participation tunisienne au salon Equip’ Auto le mois prochain à Paris et quels sont vos objectifs ?
La Tunisie sera présente au salon parisien Equip’Auto qui aura lieu du 18 au 22 octobre 2022 à Paris lors d’une journée dédiée à la promotion de ses industries automobiles « Plein Feux sur la Tunisie » avec la participation d’une délégation officielle accompagnée par des opérateurs tunisiens. L’objectif sera de présenter le savoir-faire et les potentialités tunisiennes, de mettre en relation les opérateurs tunisiens avec leurs homologues et notamment de réfléchir aux nouvelles conditions de distribution à la lumière des récents événements : la crise sanitaire et la guerre en Ukraine.
Nous exposerons sur un stand institutionnel de 16 m² à côté de plusieurs entreprises tunisiennes dont je cite Assad, Misfat, La Tunisie Mécanique, etc. Nous invitons les entreprises tunisiennes à exploiter au maximum le pavillon tunisien pour nouer de nouveaux partenariats.